Grand Angle #Micro-crédit
Des micro-entrepreneures au cœur du bassin du Congo
Des femmes rurales camerounaises gèrent leur propre caisse de micro-crédit. Le fonds rotatif leur permet d’augmenter leurs revenus et de contribuer au développement économique de l’ensemble du village
Par Ophélie Colas des Francs
Tayap, Cameroun, jeudi 3 décembre. En ce début de saison sèche, le soleil darde de ses rayons le petit village de 250 habitants perdu au milieu de la forêt tropicale. Une à une, des femmes franchissent le pas de la porte de la grande maison blanche voisine de l’église protestante en parpaings. La pièce est fraîche, légèrement obscure, et ses murs couverts de photos de famille jaunies. Elles prennent place dans les fauteuils en tissu marron et sur les chaises disposées autour de la table. Les conversations fusent, bruyantes. Si toutes habitent à Tayap, elles sont loin de se voir tous les jours. Le village, dont les cases en pisé jalonnent une piste de terre ocre, s’étire sur plusieurs kilomètres.
Ces femmes appartiennent à la coopérative de microfinance solidaire de Tayap et elles ont répondu à l'appel d’Adeline Flore Ngo Samnick, directrice générale de la coopérative agricole, Agripo.
Cette dernière a une grande nouvelle : dans quelques mois, une porcherie, une boulangerie et une savonnerie ouvriront leurs portes. Et il reviendra aux femmes de la coopérative de gérer ces deux dernières entreprises. Tonnerre d’applaudissements. Adeline Flore Ngo Samnick sourit. Ce moment est la récompense de mois de démarches pour obtenir les fonds nécessaires à ces projets, étape essentielle de l’ambitieux programme de développement durable mené par Agripo à Tayap.
Un petit capital pour se lancer
L'aventure des femmes entrepreneures de Tayap commence en 2014 lorsque la coopérative agricole décroche une subvention de 30 000 euros. Une aide octroyée par le « Small Grant Program » du Fonds pour l'environnement mondial (GEF) piloté par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qu'Agripo entend utiliser pour lutter contre la pauvreté endémique grâce à l’agroforesterie, l’éco-tourisme et le micro-crédit solidaire.
Pour ce dernier volet, un fonds rotatif d'environ 1500 euros est constitué et confié aux femmes avec pour objectif d’impulser un entrepreneuriat local et favoriser le leadership féminin. Le principe est simple : les membres de la coopérative de microfinance peuvent emprunter tous les six mois des montants de l’ordre de 80 euros au taux de 5%.
Un pécule modeste, certes, mais qui leur permet de mettre le pied à l’étrier. À l'aide de ce premier fonds, les micro-entrepreneures de Tayap achètent des semences, des produits agroalimentaires et des biens manufacturés. C’est notamment le cas de Mirabelle Ngo Nyobe et Prudence Ngo Mbeï, qui ont acquis un moulin pour broyer les noix des palmiers à huile. « Avant, nous devions louer la machine du propriétaire d’une grande palmeraie. Nous payions en nature 40 litres d’huile pour 250 litres produits », raconte-t-elle. Désormais, Mirabelle et Prudence conservent l’intégralité de la production et n’ont plus besoin de recourir aux services -payants- d’une moto-taxi pour transporter les noix.
Trois nouveaux magasins
En l’espace de quinze mois, 36 activités ont ainsi été financées. Si la plupart des prêts ont été investis dans l’agriculture, d’autres ont servi à lancer des commerces, comme celui de Marie Jeannette Ngo Tonye, qui vend du poisson séché. « Avec l’emprunt, j’ai pu acheter du matériel à Douala pour fumer la marchandise. Je la transporte ensuite jusqu’à Tayap pour la vendre aux habitants ». La poissonnière ne manque pas de clients. Avant le lancement de son affaire, les villageois devaient payer une moto-taxi jusqu’à Omog pour acheter leur poisson. Cinq euros la course pour parcourir douze kilomètres aller-retour! Des économies de transport, qui portent également maintenant sur des produits de première nécessité. Trois petites boutiques ont en effet ouvert leurs portes depuis le lancement du fonds rotatif.
Esther Ngo Ngwé, Monique Bilong et Véronique Nyemeck, les trois nouvelles épicières, proposent des produits pour la toilette, l’entretien de la maison, ainsi que des condiments, bonbons et boissons. Les boutiques sont modestes mais les ventes à la hauteur de leurs espérances. « J’ai des clients tous les jours. Si le magasin n’est pas encore ouvert, il leur suffit de frapper au volet et je me lève. A n’importe quelle heure ! » annonce non sans fierté Véronique Nyemeck.
À deux kilomètres de là, dans le deuxième hameau de Tayap, Monique Bilong fait ses comptes, à l’ombre de son auvent de palmes séchées. « J’ai emprunté 75 euros pour acheter des produits de première nécessité, des oignons, de l’ail, du tapioca. J’ai fait un bénéfice de 23 euros », se réjouit cette sexagénaire au regard pétillant. Les petits commerces cohabitent sans se porter préjudice.
De fait, chacune des trois micro-entrepreneures rêve de pouvoir emprunter des montants plus élevés pour acheter plus de marchandises et étendre son business. « Je réemprunterai dès que je pourrai pour acheter ce que me réclament les clients : des bières, des verres de lampe à pétrole, des sandales et des bottes pour marcher dans la brousse », poursuit Monique Bilong.
Une centaine de mètres plus loin, Esther Ngo Ngwé attend elle aussi le chaland en échafaudant des plans pour l’avenir. Elle imagine déjà le jour où elle pourra acheter une voiture pour transporter ses produits. « Avec le temps, ça viendra! », s’exclame avec conviction la jeune femme qui aime gérer en toute indépendance son business tandis que son mari, Christophe, travaille en ville.
Les revenus aléatoires de l’agriculture
Mais les micro-entrepreneures ne connaissent pas toutes la même fortune. « De nombreuses femmes choisissent d’investir dans l’agriculture. Or il leur faut attendre plusieurs mois, voire une année, pour la récolte », souligne Adeline Flore Ngo Samnick.Sans compter que les agricultrices ne sont jamais à l’abri des caprices de la météo ou de parasites.
C’est le cas de Marinette Tonye, veuve de 72 ans et doyenne de la coopérative, qui a vu les feuilles de son macabo dépérir sous ses yeux. « Le maïs, lui non plus, n’a pas bien donné. J’ai trouvé un épi qui ne portait que deux grains! » s’exclame-t-elle en agitant ses bras fluets.
Assise à ses côtés, Pauline hoche la tête en silence. Elle aussi a planté du macabo. Mais celui-ci a bien prospéré… Tout comme celui de Léonie Nguene, trésorière de la coopérative, qui a aussi vu les pistaches, le maïs et les ignames pousser à profusion. Mais qu’en sera-t-il à la prochaine saison? Pour pérenniser l’entrée de revenus et augmenter les bénéfices, Adeline Flore Ngo Samnick plaide pour un mix commerce - agriculture. C’est d’ailleurs le choix judicieux qu’ont fait Monique Bilong et Véronique Nyemeck, qui ont à la fois une boutique et des champs.
La directrice d’Agripo pousse aussi les femmes à mieux faire tourner l’argent de la caisse. « Le principe est de pouvoir réemprunter dès qu’on a remboursé pour réinvestir l’argent » insiste-t-elle.
De toute évidence, les membres de la coopérative n’ont pas encore intégré ce principe. En août dernier, elles ont décidé de payer les intérêts de l’emprunt, comme convenu, mais de repousser le remboursement du capital à février. Résultat, elles n’ont pas pu reprendre des fonds. Auront-elles du mal à s’acquitter de leur dette de 75 euros?
Malgré ses mauvaises récoltes, Marinette Tonye martèle : « Je vais rendre l’argent en février, comme convenu ». Et si l’une des emprunteuses s’avérait insolvable? « Son garant prendra la relève. La caisse n’est donc pas en danger », tient à souligner Adeline Flore Ngo Samnick. Faire grossir rapidement le fond est d’autant plus nécessaire que nombre de micro-entrepreneures se plaignent du faible montant des prêts. Marie Jeannette Ngo Tonye, par exemple, ronge son frein en attendant d’avoir une somme suffisante pour acheter des parpaings et construire un barbecue plus solide.
Bref, la caisse est encore en phase de rodage. Mais ces légers ratés n’égratignent en rien l’enthousiasme et l'’optimisme des femmes de Tayap. En témoigne la vague de joie qu’a soulevé l’annonce de la construction de la boulangerie, la savonnerie et la porcherie, les trois prochaines entreprises du village. Les yeux brillants, chacune s’imagine déjà en gérante de ces micro-business. La première étape sera de trouver des terrains. Après la construction et l’aménagement des bâtiments prévu pour l’été 2016, elles devront s’accorder sur le nom des responsables et désigner les huit heureuses élues. Les discussions s’annoncent vives…
Redresser la tête et se serrer les coudesLes derniers jeudi du mois sont très attendus par les micro-entrepreneures de Tayap. C’est le jour où elles se réunissent pour régler les affaires courantes de la caisse. Une assiette est posée sur la table. Les retardataires doivent y déposer une pièce en guise de pénalité. Un petit geste symbolique pour insuffler de la discipline mais ne nous y trompons pas, l’assemblée des femmes est festive. On parle des réalisations, projets, aspirations des unes et des autres. Et de la vie personnelle bien sûr. « On mange, on cause, on s’amuse », résume dans un éclat de rire Marinette Tonye, septuagénaire et doyenne du groupe. Toutes sont unanimes. La coopérative a resserré leurs liens et renforcé la solidarité. « On s’entraide. On travaille ensemble aux champs. Je suis fière d’appartenir au groupe », lance Véronique Nyemeck. Elles savourent également l’autonomie acquise face aux hommes qui préféraient, à leurs dires, boire du vin de palme entre eux plutôt que de les « emmener dans les ambiances ». Et elles se réjouissent déjà à la perspective du 8 mars, la journée internationale de la femme. « Nous défilerons dans le village pour exprimer notre joie d’appartenir à la coopérative qui nous donne de la liberté et nous sort de la pauvreté », s’exclame Véronique Nguimbous. Une émancipation que les hommes regardent avec plus ou moins de bienveillance. À en croire certaines femmes, les époux sont contents de profiter de la hausse de revenus du ménage. Mais, d’après Adeline Flore Ngo Samnick, certains se montreraient jaloux. Pour rétablir l’équilibre, elle a décidé de confier la gestion d’une des trois entreprises à venir, la porcherie, aux hommes. |
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