Le Moabi, l'arbre aux milles usages
Le Moabi, l'arbre aux milles usages
Le Moabi, ce géant d'Afrique, est aussi bien enraciné dans la culture que dans la gastronomie et la pharmacopée des zones tropicales qui l'abritent. Zoom sur cette incroyable essence qui doit impérativement être préservée.
par Geordi Ivory et Cécile Schultis
© Sarah Del Ben/Wild-Touch
Véritable géant végétal de près de 70 mètres de haut, le Moabi, ou Baillonnella Toxisperma, pousse dans les forêts tropicales humides d'Afrique qui recouvrent la République Centrafricaine, la République du Congo, la République Démocratique du Congo et le Cameroun. Au cœur de l'écosystème et des cultures de cette partie de l'Afrique, le Moabi attise les convoitises, ce qui n'est pas sans entraîner conflits d'intérêts et " incitations " politiques.
Arbre symbole
Le peuple pygmée d'Afrique est profondément attaché à cet arbre qui fait traditionnellement partie de son paysage et de sa culture. Pour ces peuples dont les croyances religieuses et mystiques sont ancrées dans la Nature, le Moabi a une valeur symbolique : on se rassemble à son pied pour discuter, notamment lors de la tenue de tribunaux. De nombreux mythes donnent vie au Moabi ou lui confèrent un rôle de porte-bonheur. Car autour du Moabi, religion et magie se confondent : les hommes cuisinent grâce à son écorce un baume dont ils s'enduisent afin de se confondre avec la nature environnante lors de la chasse.
Une espèce en danger
La forêt équatoriale est un écosystème d'une richesse et d'une valeur indéniable. Plus épargnée par la déforestation que la forêt amazonienne, elle n'en reste pas moins en danger. Le Moabi est, parmi toutes les richesses de la côte atlantique de l'Afrique, l'une des plus menacées. Son bois, très recherché, est en effet fort apprécié sur les marchés européens et internationaux. Son aspect correspond aux goûts actuels, et subit un effet de mode qui met les bois exotiques en première ligne. Sa couleur brun- rouge et ses veines fines en font ainsi un beau bois d'ameublement. Ses caractéristiques techniques sont également un atout de taille : son bois peut être utilisé déroulé, tranché ou scié. Peu imprégnable, il supporte bien les vernis, peintures et traitements divers, ce qui en fait une essence très utilisée pour les menuiseries intérieures et extérieures (portes, volets, fenêtres...). Aujourd’hui, le Moabi est une espèce protégée et plantée dans le cadre de semenceries, cependant, il reste des entreprises mal intentionnées qui abattent ces arbres illégalement.
Vertus médicinales et cosmétiques
L'abattage du Moabi pour son bois est devenu si courant que la survie même de l'espèce est gravement menacée. Mais avant d'être utilisé dans divers supports de menuiserie, le Moabi est traditionnellement connu pour ses propriétés médicinales et cosmétiques. Dans un contexte où une part majoritaire de la population se soigne toujours à l'aide d'herbes médicinales, ces usages sont loin d'être anodins, bien que non lucratifs. L'huile de Moabi, au même titre que le beurre de karité, possède des vertus adoucissantes pour le corps (massage) et les cheveux.
Graines de Moabi © Arkive.org
Une fois cette huile extraite, ses résidus (tourteaux) sont utilisés lors des avortements ou en guise de traitement contre les poux. L'écorce est utilisée contre les maux de reins et les douleurs dentaires, les affections broncho- pulmonaires ou intestinales mais aussi les leucorrhées et les infections vénériennes. La sève blanche du Moabi, qui contient du latex, est utilisée pour favoriser la cicatrisation des plaies. Enfin, divers parties de l'arbre sont utilisées pour combattre le paludisme.
Atout économique en zone rurale
En raison de toutes ses vertus, la valorisation du fruit du Moabi suscite un intérêt économique pour les populations rurales. Les fruits contiennent une amande oléagineuse. Lorsque l'amande est séchée, pilée, bouillie et pressée, elle donne une huile alimentaire. Depuis des générations, cette huile de moabi représente une source alimentaire très importante pour les populations vivant dans la forêt. Elle est utilisée avec du manioc et de la banane plantain pour préparer de nombreux plats locaux. Les fruits donnent aussi une pulpe juteuse. L’écorce du moabi peut être utilisée de la même façon qu'un oignon pour aromatiser la nourriture.
Plantation de jeunes Moabis à Tayap, Cameroun © Agripo
Cet arbre est aussi utile aux hommes de façon indirecte grâce à son rôle dans l'écosystème africain. Ses fruits succulents sont en effet très prisés par les animaux de la forêt dense, par exemple les chimpanzés, les éléphants, les rongeurs, les antilopes forestières et les sangliers africains. Dans le cadre de la chasse (notamment de la chasse à l'antilope), connaître l'emplacement de ces arbres est un atout précieux. L'éléphant, en mangeant les graines, accélère leur germination et favorise leur diffusion (via les graines présentes dans ses selles) participant à la conservation de l'espèce. L'arbre héberge également des chenilles qui se nourrissent de ses feuilles, et qui, à leur tour, deviennent une source de nourriture appréciée par les ruraux. Certains poissons sont friands du tourteau, lequel est par conséquent utilisé pour la pêche.
Le moabi : un trésor à protéger
Bien que les fruits du Moabi soient une ressource naturelle importante pour les populations, il existe une contrainte : L'arbre ne produit des fruits qu'une fois tous les trois ans. De plus, ce dernier met environ 70 ans à produire ses premiers fruits...A cause de cette vitesse de régénération, beaucoup de ces arbres sacrés sont abattus avant la première récolte, l'exploitation du bois prenant le pas sur la récolte de ses fruits.
Jeune Moabi planté à Tayap, Cameroun © Agripo
Selon Sylvain Angerand, membre de l'association les Amis de la Terre en France , " 90 % des vieux Moabis en âge de fructifier sont abattus, ce qui risque d'entraîner la disparition locale de cet arbre ". Un témoignage qui corrobore ce que vivent de nombreux paysans comme cette habitante de Tayap, au Cameroun: "En 2002, des exploitants forestiers en ont coupé à moins d'un kilomètre de la route alors qu'ils avaient promis de ne pas le faire à moins de trois kilomètres." L'abattage du moabi est un enjeu commun aux forêt tropicales humides d'Afique . Plusieurs années étant nécessaires avant qu'un arbre soit alimentairement productif. La préservation de cette espèce est donc cruciale.
En 2005, le moabi a été mis sur la liste rouge des arbres vulnérables par l'Union internationale pour la conservation de la nature(UICN). Une grande intervention est nécessaire pour que le Moabi puisse continuer à pousser dans les forêts tropicales humides du Cameroun. Il faut que cet arbre soit préservé, non seulement pour sa beauté, mais aussi pour sa valeur socio-culturelle et son usage alimentaire.
Pour en savoir plus sur le sujet:
"Projet Cœur De Forêt Cameroun." Publié en 2010
"Le Moabi, Arbre De Vie Au Cameroun." Trophées Solidaires | L'Humanité Au Cœur De Vos études. Publié en 2014.
"L’arbre Moabi, Patrimoine Culturel, Social, économique." Aquédations. Publié en 2008.
"Le Moabi : " L'arbre Qui Cache La Forêt, L'arbre De Vie Et De Profit " Publié le 13 octobre 2014.
Petite bibliographie indicative
DOHERTY, Ann. "LA VRAIE VALEUR D’UN ARBRE - Un Entretien Avec Benoît Ndameu, FoE Cameroun." Publié en 2000.
DOUMENGE, Charles. "Le Moabi : L’arbre Qui Cache L’éléphant." May 20, 2011.
JACQUET, Luc. "Une Journée Dans Les Bras Du Moabi." La Forêt Des Pluies - Carnet De Tournage De Luc Jacquet Et Francis Hallé. Publié le 12 décembre 2011.
MAPAGA Delphin, INGUEZA David, LOUPPE Dominique. « Moabi ». Ed. Juin 2002. Consulté le 23 novembre 2015. Département Forestier du CIRAD.
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